Le microcrédit et ses limites



Au moment de se lancer dans un projet productif, il faut s’intéresser à ce qui se faisait avant dans le milieu où l’on intervient. Ces femmes, avant, étaient-elles assises à se tourner les pouces et à attendre la venue du micro-prêteur ? Il existe, en Afrique, des panades pour bébés qui ne sont pas à base de lait. Le développement du micro-crédit est rarement associé aux principes d’auto-suffisance alimentaire...

Si d’elles-mêmes les femmes décident de se réunir, de cotiser, d’envoyer l’une d’entre-elles acheter de l’encens et du parfum au marché d’une grande ville proche et de le revendre parmi les clients du village pour arrondir les fins de mois, faut-il les en empêcher ? Non évidemment, mais dans la réalité c’est une méthode Coué qui est imposée aux femmes. Le film sur Yunus et sur le Bangladesh utilise des phrases à l'impératif : « vous devez, vous devez ». Les femmes doivent se lever, s’asseoir, saluer, répéter des slogans...

Pour recevoir un petit prêt de rien du tout, elles doivent promettre de construire des latrines, de limiter les naissances. C’est terrible. Beaucoup d’ONG qui ne travaillent pas comme ça, mais l’idéologie du microcrédit est une porte ouverte vers de telles pratiques... Cette idéologie est soutenue par le Fonds monétaire international, par la Banque mondiale, et toutes les grandes organisations internationales. Leur but est de permuter l’endettement des pays pauvres, de passer de l’endettement des Etats à l’endettement de la population. Ca veut dire que ces populations sont forcées au silence et à la résignation parce qu’obligées de survivre dans l’endettement.

Il existe une forte tendance à vouloir confier le microcrédit aux banques. L’idée de départ a toujours été celle-là : de transformer l’informel en formel, convertir l’argent qui circule sans intérêt en argent qui circule avec des intérêts et de ramener tout ça dans le secteur de la banque. H.D. Seibel, Professeur à l’Université de Cologne l’a clairement annoncé en analysant l’importance de l’épargne qui circulait de manière informelle dans les pays pauvres, épargne qu’il devait être possible de transformer en « crédit » formel. Le système bancaire aurait été trop bête de ne pas profiter de cette manne...

Les institutions bancaires sont depuis longtemps en train de s’y mettre, car la petite somme est tout aussi rentable si vous avez beaucoup de pauvres. Comme il y a beaucoup plus de pauvres que de riches, on peut aussi bien faire fortune avec les petits pauvres qu’avec les gros riches. Comment contrôler la tentation de ne pas devenir une grosse affaire ? J’ai l’air de faire la morale. C’est peut- être une position qui peut irriter. Sauf que l’on parle ici de l’avenir de l’action des ONG, où l’éthique et la morale tiennent quand même une place importante.

Aujourd’hui, le microcrédit s’intéresse beaucoup aux transferts d’argent des migrants vers leurs familles restées au Sud. Le moins que l’on puisse dire est que cela demande de sérieux éclaircissements. Veut-on profiter de l’argent qui leur appartient ? On va créer entre les deux un intermédiaire qui va prendre l’argent et qui va faire son petit bénéfice la dessus ! C’est fou ! Qu’on songe à l’évolution des coopératives de crédit chez nous. On revoit se profiler le mécanisme de la personne qui a un peu d’argent, qui le dépose à la banque, pour recevoir un intérêt ridicule. Puis quelqu’un d’autre emprunte cet argent, ou lui-même emprunte l’argent qui lui appartient et doit payer un intérêt bien plus élevé. Entre les deux, il y a un intermédiaire, avec le développement qu’on connaît. La création d’intermédiaires est typiquement ce qui se passe dans le microcrédit. Des prêts informels sans intérêts existent dans la plupart des pays, avec des coutumes différentes... Le microcrédit s’emploie souvent à les transformer en prêts formels. Avant de proposer un microcrédit, il faut avoir le courage d’avouer ce que l’on se propose de remplacer. Yunus prétendait vouloir remplacer les usuriers mais ses prêts finissent par coûter plus cher que ceux des usuriers qu’il dénonçait !